Si vous suivez le blog, vous savez que j’apprécie tout particulièrement cet auteur et philosophe incroyable et atypique qu’est Marcello Vitali-Rosati. J’avais eu l’occasion de le rencontrer lors de la sortie de son ouvrage « L’Éloge du Bug » (le podcast est à écouter ici), essai provocateur qui remettait en question l’impératif fonctionnel, la rhétorique de l’immatérialité et l’intuitivité promise par les géants du web.
Cette fois-ci, je découvre son nouvel ouvrage lors d’un enregistrement de La Tech à l’Envers ou j’ai eu la chance d’interviewer Margot Mellet. Docteur en Littérature Française et Directrice de la collection « De code et de Plomb », « C’est la matière qui pense » est le premier livre édité dans cette nouvelle collection !
Les processus de remédiation des littératures à l’écran – qui ont marqué le passage d’une culture du papier à un nouveau paradigme numérique – ont longtemps été (et le sont encore) désignés par un ensemble de termes et d’images laissant penser que la matière s’est perdue dans des labyrinthes techniques complexes, ou qu’on est finalement parvenu à s’en débarrasser pour désormais occuper avec nos idées les nuages et les nues. Les grands axes que sont la « dématérialisation » ou la « virtualisation » des contenus ont pu sous-entendre que la culture numérique inaugurait le temps de l’immatérialiel où les imaginaires liquides étaient de mise (un monde où les « flux » de données croisent les feuilles de style « en cascade » et où les « pirates » et hameçonnages » gênent parfois les « navigations ».
Non sans pointe d’humour et se jouant de la thématique maritime, Marcello renforce sa thèse du mythe de l’immatérialité poussé par les industriels du numérique. La matière reste même dans les codes sources.
Quel avenir du livre à l’heure des environnements numériques ? Loin d’être antinomique, le livre papier est en réalité complémentaire du support numérique. Les différents supports sont caractérisés par un niveau différent de linéarité. Le papyrus, fait pour être déroulé en rendant très peu ergonomique un aller-retour entre diverses parties du texte, en passant par le codex, dont la structure en pages avec une numérotation permet une certaine indexation , jusqu’à l’hypertexte qui est pensé pour permettre une tabularité très poussée. Ces textes sont finalement matériels, composés d’hyperliens, de code HTML, de balise
La production de sens est la caractéristique fondamentale sur laquelle on fonde la définition de l’humain. L’être humain serait le producteur de la pensée. Il se détache de l’immanence matérielle pour accéder à la transcendance : de cette manière, il se trouve au-dessus de toutes les autres choses du monde.
Dans cet ouvrage, l’auteur questionne l’impact des interactions matérielles sur les pratiques d’éditions. Faite d’une multitude d’interactions, la pensée n’est pas la résultante d’une seule personne, d’un seul sujet mais un projet collectif. On retrouve ici le concept de Petites Mains développés par Margot Mellet qui participent intégralement à la production des savoirs ; mais aussi le rôle des tâcherons, ces travailleurs du clic, développé brillamment par Casilli dans son ouvrage En Attendant les robots.
L’ouvrage de Marcello Vitali-Rosati est percutant et vient enrichir les réflexions et la prise de recul nécessaires autour de la thématique des écritures numériques.
