
En France, une poignée de milliardaires s’emparent depuis peu des sources d’information : médias, maisons d’édition, école de journalisme … Comme informer coûte cher et n’est que peu rentable, leur intérêt n’est pas économique. Il est urgent de lutter contre cette concentration dangereuse pour la démocratie.
Olivier Legrain est le fondateur de la Maison des médias libres, une structure destinée à accueillir des médias indépendants qui doit voir le jour en 2027. Homme d’affaires aujourd’hui reconverti en psychothérapeute, il est politiquement orienté (très) à gauche.
Vincent Edin est journaliste et essayiste et collaborateur régulier du magazine Usbek & Rica. Il est l’auteur de plusieurs essais et du manuel Se lancer dans la collecte de fonds (Juris Éditions, 2012). Il est le directeur de la collection « Les Incisives ».
Une concentration inédite
Extension du domaine de la concentration : un problème d’une ampleur inédite
Un appétit vorace
La démocratie en danger
De la force de frappe des multimilliardaires
Une offensive anti-progressiste
Comment en sommes-nous arrivés là ?
Internet et l’effondrement des modèles historiques
Qu’est ce que l’information « low cost » ?
Le fait divers, carburant des chaînes d’information
Bien informer coûte cher
Édition : tout s’achète, même le prestige
Canal+, Fayard : même croisade
La bataille du vrai
Qu’est-ce que l’information ?
De la différence entre les faits et les opinions
Institut de sondages et think thank : la manipulation des chiffres
La dramatique puissance des fake news
L’ère de la post-vérité
L’IA accélère le problème, mais ça n’est pas le problème
La guerre culturelle
Un pour tous, tous pour un
La petite musique qui monte
De quelle emprise parle-t-on ?
La capitulation du pôle public
Quand le pouvoir ne protège plus l’information
Sauver l’information
L’union fait la force : nous pouvons beaucoup, même sans ultra-riches
Soutenir les médias indépendants
Ne pas contribuer à financer ce système
L’impérieuse nécessité de l’éducation aux médias pour toutes et tous
Sortir de la candeur vis-à-vis des réseaux sociaux
Mettre les annonceurs dans notre camp
Protéger l’existant
Changer les lois pour sauver l’information
… Et changer de gouvernement pour sauver la démocratie
Pour quoi nous battons-nous ?
Notes
Remerciements
Nombre de pages
141
Langue
Française
Année de publication
2025
Éditeur
Payot
ISBN
978-2228-939041
Olivier Legrain, ancien homme d’affaires reconverti en psychothérapeute, marqué à gauche politiquement, milite pour une information indépendante. Dans son ouvrage, il s’oppose avec vigueur contre la concentration des médias français aux mains d’une poignée de milliardaires.
Millionnaire lui-même, il démontre une attache sincère à la liberté des médias et donne dans son essai quelques pistes pour enrayer cette dynamique de concentration (statut pour développer des journaux indépendants, support financier…).
Si son propos est souvent argumenté et juste, il est probablement un peu trop radical à mon goût, ce qui luii fait perdre l’objectivité journalistique qu’il regrette par ailleurs dans les rédactions qu’ils critiquent.
Alors, oui, les chaînes d’information en continue nuisent à la qualité et au traitement de l’information. Par un glissement assumé de l’information vers la discussion ou vers l’infotainement, par la mise en avant du fait divers au détriment de l’analyse factuelle, les pseudo-experts en tout minent le débat public, jouent sur nos émotions primitives et nos peurs et ne plaident pas en faveur du développement de l’esprit critique du consommateur. Le rôle de gardien de l’information du journaliste n’est plus assuré et la hiérarchisation de l’actualité devient chaotique.
Très remonté contre l’empire Bolloré, notre essayiste s’attarde beaucoup sur les dérives des médias de droite et d’extrême droite, à juste titre, mais en oublie les dérives de son propre camp. Après tout, L’Obs, le Monde ou encore Libération sont également les propriétés de milliardaires. Les journaux de gauche seraient-ils exempt d’auto-censure ou d’influences idéologiques néfastes à la production d’une information claire et objective ?
On peut également regretter le format plutôt succinct de ce petit manifeste (139 pages) tant le sujet de l’information est vaste et complexe. Il ne permet pas d’avoir une vue globale de la situation des médias. Si l’auteur regrette à juste titre le manque d’enquêtes journalistiques, il ne souligne pas suffisamment l’évolution de la consommation des médias, le rôle grandissant des influenceurs sur les plateformes, la pression de l’instantanéité sur la production des contenus, la baisse du nombre de journalistes, le bouleversement des business models et la captation des revenus publicitaires par Google et Meta…
Si la situation des médias en France est grave, elle n’est pas désespérée. Le dernier rapport de Reuters Institute souligne la confiance d’une majorité de Français dans leurs presse audiovisuelle publique (France Télévisions) et dans la presse locale, alors que les chaines d’information en continue (BFM TV, CNews, etc…propriétés de milliardaires) sont vues comme non fiables car biaisées et trop partisanes. Souhaitons enfin que les préconisations du rapport des États Généraux de l’information produit l’année dernière soit suivie par le politique pour tenter de remédier à la crise structurelle des médias (formation EMI dès l’école, labellisation des influenceurs, pluralité des médias, redistribution…).
Un siècle plus tard, à l’heure du Nouveau Front populaire, les propriétaires des grands médias de ce pays tiennent sur les doigts de deux mains. Dix milliardaires qui accaparent à eux seuls 90 % des ventes de quotidiens nationaux, 55 % de l’audience des télévisions et 40 % de celle des radios. En plus de cela, deux d’entre eux possèdent aussi 50 % du marché de l’édition. Vous les connaissez sans doute, mais rappelons tout de même leurs noms. Par ordre alphabétique, Bernard Arnault, Vincent Bolloré, Martin Bouygues, la famille Dassault, Patrick Drahi, Daniel Kretinsky, Arnaud Lagardère, Xavier Niel, François Pinault et Rodolphe Saadé. Il sera par moments question dans ce livre d’un onzième personnage, pour l’heure encore aspirant, mais aux ambitions prometteuse pour le moins : Pierre-Édouard Stérin. (p.8)
La concentration des médias alignée à celle des plateformes numériques peut nous faire basculer : aujourd’hui, une poignée d’hommes et d’entreprises contrôlent notre accès à l’information. Et un grand nombre d’entre eux s’affranchissent des règles des entreprises de presse sur les critères d’une information de qualité, contrôlée, équitable et juste… On ne parle pas là seulement d’opinions fortes, mais de faits non vérifiés, non sourcés. La menace est très grande, mais nous ne sommes pas un pays de résignation. Nous sommes un pays de luttes et de luttes souvent victorieuses, le pire n’est jamais écrit d’avance ! (p.11)
Le projet caché derrière les coupes à répétition dans le budget de l’audiovisuel public, c’est la haine de cette information indépendante qui attaque librement tous les groupes d’intérêt. Les antennes de Radio France comme les chaînes de France Télévisions sont reconnues pour la qualité de leurs émissions, on devrait s’en féliciter plutôt que d’en voir le coût. Or, lors des derniers plans d’économies demandés à France Télévisions, 75 % de ces dernières ont été concentrées sur les émissions d’information, qui ne représentent pourtant que 5 % du budget global des chaînes ! (p.38)
Il y a une différence fondamentale de nature entre des faits avérés, vérifiés, sourcés, et les opinions. Or, ce que nous avons décrit au chapitre précédent, le flou qui ressort des plateaux de « toutologues » mène à un relativisme franchement délétère : quand l’indicatif et le conditionnel se valent, comme deux récits possibles, comme deux hypothèses, quand les interprétations sont traitées de la même manière que la réalité des faits, l’information se perd, au sens où elle ne dit plus ce qui est, mais propose ce qui pourrait être si. Or l’information n’est pas ainsi. L’information, c’est pouvoir étayer son propos par des faits, pas par des supputations. Ce dont nous sommes actuellement témoins, c’est un basculement dans l’ère de la post-vérité et, comme l’écrit encore l’historien Timothy Snyder : « Post-truth is pre-fascism ». (p.51)
Une des stratégies les plus efficaces reste la menace au porte-monnaie. Les oligarques sont pour beaucoup solidaires les uns des autres en s’achetant des espaces publicitaires dans leurs médias. Leur modèle économique reposant très fortement sur les annonceurs privés puisque les ventes ne suffisent pas, on comprend que la méthode porte vite ses fruits. Dans l’édition du 15 novembre 2017, Le Canard enchainé avait ainsi révélé que, courroucé par une enquête du Monde sur le recours aux paradis fiscaux par Bernard Arnault, ce dernier avait répliqué en coupant les publicités LVMH dans le quotidien : une perte sèche estimée à 600 000 euros … Une somme dérisoire par rapport aux 608 millions d’euros d’investissements publicitaires du groupe en 2023 (selon L’informé) dont la moitié pour la seule presse écrite… (p.92)
En outre, la suppression brutale, en 2022, de la redevance télé qui permettait de faire financer l’audiovisuel public par l’ensemble des Français a profondément bouleversé le rapport de force ; en coupant cet impôt pour le remplacer par un vote du budget au Parlement, Emmanuel Macron a rendu infiniment plus vulnérables tous ces programmes : quand vous critiquez le pouvoir et les intérêts, vous vous exposez à ce qu’il réagisse. (p.95)
À l’heure où ce livre paraît, j’ai signé la promesse d’achat de l’immeuble qui abritera la Maison des médias libres, livraison prévue fin 2026 ou premier semestre 2027. Dans cet espace, nombre de rédactions indépendantes cohabiteront sur près de 350 postes de travail. Ils partageront un amphithéâtre et des studios de production. L’idée, outre de leur accorder des loyers modérés, est de créer de l’émulation et du collectif pour enquêter, en partant du principe que l’union fait la force et que des « petits » titres mis ensemble peuvent aboutir à des enquêtes davantage coordonnées. Au fond, faire de ce lieu un « contre-pouvoir » nourri de partages multiples […] J’aurais préféré, non seulement économiquement mais aussi en termes d’élan collectif, être accompagné par d’autres riches investisseurs. J’ai sollicité nombre d’entre eux, de façon insistante : aucun ne m’a suivi. Aucun. (p.103)
Au fond, on devrait même dire que la part d’affaires révélées par Mediapart est bien trop importante eu égard à la taille du journal. La France compte environ 34 000 journalistes selon la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels (CCIJP), chiffre qui ne prend donc en compte que les titulaires de la carte de presse, tirant la majorité de leurs revenus de la presse. Les 70 journalistes de Mediapart ne représentent que 0,05 % de l’ensemble, mais donnent l’impression d’exhumer la moitié des scandales de ce pays. Ont-ils des pouvoirs magiques ? Ou faut-il plutôt penser que certains titres se donnent les moyens de créer un pôle d’investigation conséquent et ne brident pas leurs journalistes. (p.108)
Après avoir milité pour privatiser l’énergie, les transports, la santé et l’éducation, ils ne s’arrêteront pas là et finaliseront leur projet libertarien en confisquant le débat public, en le mettant sous coupe. Soit en recourant massivement à la censure de tous les discours progressistes, soit directement en coupant les comptes, en bannissant (dès que Mark Zuckerberg a modifié les règles de vérification de Facebook, tous les contenus reconnus comme « LGBT » ont été supprimés pour cause de « déviance ») ou, indirectement, en modifiant les algorithmes pour diminuer la visibilité de ces contenus. (p.111)
À l’heure ou Trump démantèle la plus grande puissance scientifique du monde à coups de décrets stupéfiants, à l’heure où des pans entiers de la recherche sont sacrifiés au nom d’une idéologie anti-woke, il est urgent de prendre la mesure du bien précieux que constituent la croyance en les faits, la recherche du consensus scientifique, la collaboration entre disciplines pour comprendre chaque jour un peu mieux les ressorts du monde au sens le plus large du terme. L’information, la connaissance, le savoir, la curiosité et l’honnêteté intellectuelle sont dans toute le patrimoine humain dont nous pouvons être les plus fiers. Il est temps de nous lever, toutes et tous, pour montrer notre attachement à ce patrimoine et notre détermination à en prolonger l’histoire au nom de l a postérité. (p.128)