Le RAPT d’Internet, manuel de déconstruction des Big Tech de Cory Doctorow

Face aux Big Tech, l'essayiste Cory Doctorow milite pour un futur où les liens numériques se tisseront loin de la Silicon Valley.

Le RAPT d'Internet, manuel de déconstruction des Big Tech par Cory Doctorow

Résumé du livre Le RAPT d’Internet, manuel de déconstruction des Big Tech de Cory Doctorow

Ceci est un livre pour les personnes qui veulent détruire les Big Tech.
Ce n’est pas un livre pour les personnes qui veulent dompter les Big Tech. Il est impossible de les réformer.
Ce n’est pas non plus un livre pour les personnes qui veulent se débarrasser des technologies à proprement parler. Les technologies ne posent pas de problème en soi. Arrêtons de réfléchir à ce que font les technologies. Réfléchissons plutôt à qui elles le font et pour qui elles le font.
C’est un livre qui s’intéresse à ce que les Big Tech craignent le plus : une technologie qui serait dans les mains et au service des personnes qui l’utilisent.

Comment se fait-il qu’avec des machines universelles telles que les ordinateurs, nous nous retrouvions enfermés dans les jardins clos des plateformes monopolistiques ? Cory Doctorow nous propose des voies d’action politique : développer les lois antitrust et promouvoir l’interopérabilité. Celle-ci permet de diminuer les coûts de sortie en nous permettant de conserver nos relations. C’est la plus grande peur des monopoles, qui doivent alors améliorer le service à leurs usagers sous peine de décrépitude. Tous leurs avocats et lobbyistes n’y pourront rien, et elles ne pourront plus acheter les concurrents pour garder leur position de pouvoir.
Un manuel pour désintégrer les Big Tech écrit avec verve et passion et qui se lit comme un roman tout en apportant de nombreuses informations et outils pour comprendre le monde numérique.

A propos de l'auteur Cory Doctorow

Cory Doctorow est une des personnes les plus influente de l’Internet. Affilié au MIT Media Lab, il est auteur de science-fiction et est considéré par ses pairs comme une de plumes majeure de la seconde vague du cyberpunk. Ses romans et nouvelles sont autant de manière, entre deux actions haletantes, de réfléchir sur le monde numérique.
Cory Doctorow est également un activiste des libertés numériques. Il a travaillé auprès de Creative Commons et de l’Electronic Frontier Foundation. Son activité de plaidoyer lui permet d’écrire de nombreux articles, tribunes de presse, et interviews. Blogueur de longue haleine, très productif et toujours incisif et précis, il a créé le blog phare des années 2000 Boing-Boing. Aujourd’hui, il publie quotidiennement sur son blog personnel Pluralistic une série de textes souvent acides et piquants contre les diverses formes d’emmerdification de l’Internet.

Table des matières de Le RAPT d’Internet, manuel de déconstruction des Big Tech de Cory Doctorow

Introduction

Comment se réapproprier les moyens de production numérique

Du gigantisme des géants de la tech
Effets de réseau et coûts de sortie
Les guerres du copyright, la cybercriminalité, le terrorisme, le trafic d’être humains et autres joyeusetés pour les géants de la tech
Interopérabilité : Des sciences informatiques au monde réel
Normes et obligations d’interopérabilité : Que cache le Bouclier de l’ennui ?
L’interopérabilité adverse : Guérilla et rétro-ingénierie
Confiture demain : Notre vie après avoir repris les moyens de production numérique
Confiture aujourd’hui : Voici comment nous réussirons

Quid…

Qui de la vie privée ?
Qui du harcèlement ?
Quid de la radicalisation algorithmique ?
Quid de la pédopornographie, du revenge porn
Quid des garanties ?
Quid des pays pauvres ?
Quid de la blockchain ?

Pour aller plus loin

À lire, à écouter, à voir
« Emmerdification » (note de l’éditeur)
Extrait de catalogue

Caractéristiques de Le RAPT d’Internet, manuel de déconstruction des Big Tech de Cory Doctorow

Nombre de pages

242

Langue

Française

Année de publication

2025

Éditeur

C&F éditions

ISBN

978-237662-0921

Mon avis sur l'ouvrage Le RAPT d’Internet, manuel de déconstruction des Big Tech de Cory Doctorow

Cory Doctorow est un militant et un activiste des libertés numériques. Dans son ouvrage Le RAPT d’Internet, il dénonce le cynisme des plateformes numériques qui nous enferment dans leurs jardins clos par tous les moyens possibles, nous condamnant à rester captifs de services numériques dont nous n’aurions pas fondamentalement besoin.

Pour l’auteur, la Silicon Valley a conçu un système qui oblige ceux qui détestent certaines plateformes numériques à s’en servir quand même. À travers une dynamique de verrouillage et de coûts de sortie élevés, les utilisateurs sont pris en otage et ne peuvent plus quitter les plateformes sans en payer un coût social important. Si vous avez déjà cherché à quitter WhatsApp par exemple ou tout autre réseau social, vous comprendrez probablement la difficulté de disparaitre d’une plateforme utilisée par une grande partie de votre communauté (faisant jouer un effet de réseau).

Il critique également le maquis de lois faisant obstacle à l’interopérabilité utilisés par les géants de la Tech pour nous contraindre à n’utiliser que leurs services (essayez-donc de réparer un iphone vous-même).

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Le RAPT d'Internet, manuel de déconstruction des Big Tech par Cory Doctorow

Car oui, l’interopérabilité semble bien la meilleure des solutions pour Doctorow. Face à des pratiques monopolistiques, et sans volonté réelle du législateur pour démanteler les géants du web à travers des campagnes antistrust (pourtant nécessaires), la seule alternative à court terme pour nous libérer des chaines des Big Tech est de forcer l’interopérabilité des services. Ainsi, nous pourrions par exemple forcer les acteurs de la Tech à ouvrir des API pour permettre à d’autres applications de s’interconnecter à leurs services. Une application de messagerie respectueuse de la vie privée pourrait par exemple vous permettre d’interagir avec vos contacts présents sur WhatsApp sans la nécessité pour vous d’utiliser l’application de Facebook. Les Big Tech n’ont cependant effet aucun intérêt à ouvrir leurs jardins clos.

Nous tolérons aujourd’hui dans nos univers numériques des comportements portant atteinte à notre vie privée que nous n’accepterions pas dans notre monde physique. « Mark Zuckerberg maltraite ses utilisateurs uniquement parce qu’il sait qu’ils ne peuvent aller nulle part ailleurs […]. Nous n’avons pas besoin d’un meilleur Zuckerberg, nous devons abolit Zuckerberg ».

Critique du droit d’auteur et ardent défenseur des libertés numériques, Cory Doctorow nous offre ici un essai percutant, écrit avec passion et conviction nous donnant les éléments pour comprendre notre monde numérique actuel et nous offrant des clés pour un futur où les liens numériques pourront se tisser loin de la Silicon Valley.

Extraits et concepts du livre de Le RAPT d’Internet, manuel de déconstruction des Big Tech de Cory Doctorow

Des premiers monopoles aux lois antitrust américaines

Si la tech était dirigée par des génies exceptionnels dont l’instinct singulier empêchait quiconque de les détrôner, alors on s’attendrait à ce que la structure même du secteur soit exceptionnelle. C’est-à-dire qu’on s’attendrait à ce que l’extinction de masse survenue dans le secteur de la tech, qui a transformé un Web anarchique et brouillon en un nombre limité de grands sites web, soit le propre de ce secteur et ait été voulue par ces illustres génies.
Mais ce n’est pas du tout le cas. Pratiquement tous les secteurs d’activité ressemblent à celui de la tech : ils sont dominés par une poignée d’entreprises gigantesques apparues en une quarantaine d’années, après l’extinction cataclysmique d’entreprises plus petites qui ont fait faillite ou ont été absorbées par ces gigantesques rescapées. […].

Il y a quarante ans, des pays du monde entier ont modifié le socle juridique sur lequel reposaient leurs lois en matière de concurrence (ces lois souvent qualifiées d' »antitrust ») pour qu’elles soient plus tolérantes à l’égard des monopoles. Quarante ans plus tard, nous avons beaucoup de monopoles.

Au XIXè siècle, les « barons voleurs » américains se rassemblent et forment des trusts : ainsi, des propriétaires de chemins de fer peuvent vendre leurs parts à un « trust de chemin de fer » et en devenir les bénéficiaires. Les trustees – des administrateurs qui ne sont autres que ces mêmes barons voleurs ou leurs représentants – dirigent le trust. […] Toute entreprise qui refuse de vendre ses biens au trust est rapidement mise à genoux […].

Dans la première partie du XXe siècle, les plus grands empires commerciaux s’écroulent après l’entrée en vigueur de la loi Sherman (première loi antitrust américaine) […]. Ce principe ne fait pas l’unanimité, car le monopole est une idée puissante et séduisante. […] Comme le dit Peter Thiel : « la concurrence, c’est pour les perdants. » (p.21)

Bien entendu, admettent les Chicago Boys, il existe quelques monopolistes malfaisants, et ce sont eux qui risquent d’augmenter les prix, simplement parce qu’ils savent qu’ils n’ont pas à s’inquiéter de la concurrence. L’école de Chicago a alors recours à des modèles mathématiques complexes pour distinguer le bon grain de l’ivraie. (p.25)

L’interopérabilité pour combattre les monopoles dans la tech

La tech fait exception parce que les ordinateurs et les réseaux qui composent notre monde numérique sont universels, parce que l’universel est interopérable, et parce que l’interopérabilité réduit les coûts de sortie. Le monopole est un éléphant, et vous ne pouvez pas avaler tout l’éléphant d’un seul coup. La lutte contre les monopoles est une bataille d’une telle envergure qu’on ne peut la mener sur tous les fronts. Pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, il me semble que la tech devrait être la première brèche d’une campagne antitrust.

Mais la tech fait exception à plus d’un titre. Nos outils numériques ne sont pas seulement un moyen pour les grandes entreprises et les gouvernements de nous surveiller et de nous contrôler. Ils sont aussi pour nous le moyen de former des communautés et de coordonner notre stratégie afin de nous défendre. (p.39)

Bill Gates peut remercier sa maman et John Opel

Le département de la Justice n’appréciait pas non plus que les entreprises lient leurs logiciels au matériel informatique qu’elles produisaient. Par conséquent, IBM décida de ne pas fabriquer son propre système d’exploitation pour PC. Son président John Opel demanda alors à une amie, qui siégeait à ses côtés au conseil d’administration de l’association caritative United Way, si elle connaissait quelqu’un qui pourrait lui fournir un système d’exploitation pour le PC d’IBM. Cette amie s’appelait Mary Gates et son fils, Bill Gates, dirigeait une entreprise qui pouvait faire l’affaire : Micro-Soft. (Le trait d’union disparaîtra plus tard.) (p.47)

Aujourd’hui, IBM ne fabrique plus d’ordinateurs personnels. L’interopérabilité des ordinateurs signifie que quiconque ayant commencé avec un PC d’IBM peut ensuite passer sur un Compaq, un Gateway ou un Sony. L’interopérabilité signifie aussi que quiconque passe de l’un à l’autre peut également passer à un autre système d’exploitation, par exemple sur un Mac, où iWork lui permettra d’ouvrir et de sauvegarder tous les documents crées au moyen de Microsoft Office sur son PC IBM, son Compaq ou son Gateway. (p.48)

Effets de réseau et coûts de sortie chez Facebook pour rendre les utilisateurs captifs

Prenons par exemple cet extrait d’un mémo que le département des fusions et acquisitions de Facebook envoie à son P.-D-G. Mark Zuckerberg, dans lequel il défend l’acquisition d’une entreprise permettant de télécharger et partager des photos : Selon moi, les photos (associes à des contacts complets/intelligents et à une messagerie unifiée) peuvent être une des meilleurs façons de rendre les coûts de sortie extrêmement élevés pour les utilisateurs – si nous sommes là où résident toutes leurs photos parce que les fonctionnalités de téléchargement (mobile et Web), de modification, d’organisation et de partage des photos sont les meilleures de leur catégorie, et s’il est impossible d’emporter ces photos et les données/commentaires associés, il sera très difficile pour les utilisateurs de nous quitter.

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Les guerres du copyright : Content ID et professeur de musique classique

Plus la correspondance est approximative, plus il y a de faux positifs. C’est notamment un problème pour les interprètes de musique classique ; leurs interprétations de Bach, Beethoven ou Mozart ressemblent inévitablement très fort aux enregistrements que Sony Music (le plus grand label de musique classique au monde) a revendiqués dans Content ID. Par conséquent, il vous est devenu pratiquement impossible de gagner votre vie par la publication en ligne de votre propre interprétation de morceaux de musique classique : soit vos vidéos sont bloquées, soit les revenus publicitaires qu’elles génèrent sont captés par Sony. Même l’enseignement de la musique classique est devenu un terrain miné, parce que des leçons mises en ligne gratuitement et produites avec soin sont bloquées par Content ID. Si le label est d’humeur généreuse, il peut arriver que les leçons soient laissées en ligne, mais les revenus publicitaires qu’elles génèrent sont captés par une grande société, qui confisque ainsi la rémunération découlant des créations d’un professeur de musique. (p.72)

Nous devons abolir Zuckerberg via l'interopérabilité

Le problème avec la domination totale qu’exerce Mark Zuckerberg sans avoir de comptes à rendre sur les vies numériques de trois milliards de personnes, ce n’est pas qu’il fait horriblement mal son boulot. Le vrai problème, c’est que ce boulot ne devrait pas exister. Personne ne devrait détenir un tel pouvoir. Nous n’avons pas besoin d’un meilleur Zuckerberg. Nous devons abolir Zuckerberg. C’est la qu’intervient l’interopérabilité. (p.79)

Apple s'appuie sur un "maquis" de lois faisant obstacle à l'interopérabilité

Apple s’appuie sur le droit des brevets pour empêcher toute fabrication indépendante de certaines pièces ; il s’appuie sur les lois anti-contournement pour empêcher l’installation d’autres pièces par des prestataires indépendants ; il s’appuie sur des accords contractuels passés avec des acteurs du recyclage pour s’assurer que la plupart des téléphones usagés ne soient pas démontés et que leurs composants ne soient pas récupérées ; enfin, il s’appuie sur le droit des marques pour bloquer la réimportation de pièces qui ont échappé au déchiquetage du recyclage.

L' exceptionnalisme de la tech

Les critiques de la tech s’en prennent à juste titre à l’exceptionnalisme de la tech », à l’idée que la tech serait différente et qu’elle devrait par conséquent jouer selon des règles qui lui sont propres. Pensez par exemple à Google et à Facebook qui affirment qu’un comportement portant atteinte à la vie privée, que nous ne tolérerions pas s’il était le fait de personnes physiques nous poursuivant tout autour du monde, devrait demeurer incontrôlé dans le monde numérique. Mais il existe bel et bien deux aspects, au moins, qui font le caractère exceptionnel de la tech.

Premièrement, la tech est fondatrice. Les questions de monopole technologique ne sont pas intrinsèquement plus importantes que, disons, l’urgence climatique ou les discriminations sexuelles et raciales. Mais la tech – une tech libre, juste et ouverte – est une condition sine qua non  pour remporter ces autres luttes. Une victoire dans la lutte pour une meilleure tech ne résoudra pas ces autres problèmes, mais une défaite annihilerait tout espoir de remporter ces luttes plus importantes.

Deuxièmement, la tech est interopérable. Cela signifie que, bien avant de démanteler Facebook ou Google ou Microsoft ou Apple, nous pouvons offrir un soulagement profond et immédiat aux personnes dont la liberté de mouvement est entravée par les jardins clos de la tech. Nous n’avons pas à attendre l’un ou l’autre démantèlement pour autoriser quelqu’un à installer l’application d’une tierce partie, ou à contourner une modération trop stricte (ou trop tolérante), ou à surmonter l’ensevelissement algorithmique de ses contenus.  Nous pouvons le faire immédiatement grâce à l’interopérabilité. (p.182)

Organisation de l'information : Les subdivisions de l'Internet sont une bénédiction

L’algorithme maximisant l’engagement a appris de celles et ceux avant moi que bon nombre de personnes peuvent être incitées à prolonger leur navigation sur Internet si on leur présente une liste de sujets secondaires dérivés du sujet générale par lequel elles ont commencé leur recherche. Cette idée n’a rien d’exceptionnel ou de sophistiqué : c’est le principe d’organisation qui sous-tend tout système d’organisation de l’information. La classe 600 de la classification décimale de Dewey correspond à « Technologie (Sciences appliquées) ». En descendant d’un niveau, on arrive à la classe 690, « Bâtiments », puis en descendant encore, on arrive à la classe 694, « Utilisation d’un bois dans la construction ». À partir de là, vous pouvez ajouter des suffixes pour « japonais », etc. […] Ainsi, les systèmes numériques offrent des itinéraires extrêmement efficaces entre des sujets généraux de niveau supérieur et des sujets spécifiques, restreints, ésotériques, même lorsque l’utilisateur ne sait pas ce qu’il cherche. […] 

Depuis ses balbutiements, l’Internet est un système qui permet aux personnes entretenant une vision ésotérique du monde de se rassembler. C’est une bénédiction en demi-teinte, certes, mais il est indéniable que c’est une bénédiction : les idées de Black Lives Matter correspondaient autrefois à une position marginale, de même que l’idée de la non-binéarité du genre. Au-delà de la politique, les infinies subdivisions de l’Internet en espaces centrés sur des intérêts spécifiques sont fantastiques pour découvrir de nouveaux auteurs de science-fiction, des techniques permettant de fabriquer des boules de boue ultra-brillantes d’inspiration japonaise, et des notes détaillées sur le maquillage à effets spéciaux, sur le brassage de la bière, sur la réparation de voitures, sur la restauration de meubles anciens ou sur les soins à apporter à un poisson tropical malade. (p.197)

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