Hypercréation de Flavien Chervet, petit manuel pour apprivoiser les c-borgs

Hypercréation de Flavien Chervet, petit manuel pour apprivoiser les c-borgs

Titre : Hypercréation, petit manuel pour apprivoiser les c-borgs
Auteur :  Flavien Chervet
Éditeur : Nullius In Verba
Pages : 304
Année : 2023
ISBN : 978-10-92564-41-9

 

J'appelle "C-Borgs" (pour "Creative-Borgs") les machines fondées sur l'intelligence artificielle qui sont douées de créativité. Je date leur avènement du 10 mars 2016, à Séoul, en Corée du Sud. Désormais, il va falloir apprendre à vivre et créer avec elles, sans les craindre ni les sous-estimer.

A propos de l’auteur (officiel) :

Flavien Chervet est un passeur de frontières. Son expérience diversifié le positionne à la lisière de l’entrepreneuriat, de la philosophie, des sciences, des technologies, des arts et du design. Convaincu que la chaleur des frictions rend probables les naissances créatives, il aime se tenir en équilibriste sur la fine corde qui sépare les domaines de la culture humaine pour faire dialoguer et s’accoupler les mondes qui se rencontrent peu. En cela hors-la-loi autant qu’apatride intellectuel, il propose ses services à quiconque veut arpenter les chemins de traverse, se glisser avec l’agilité du chat sous les radars des polices de l’esprit et faire contre-bande d’idées illicites. 

Table des matières :

Préambule
Mode d’emploi des QR Codes interactifs
Frise temporelle
Chapitre 1 : Un présage
Chapitre 2 : Narcisse et la machine
Chapitre 3 : Créativité, de quoi parle-t-on ?
Chapitre 4 : Le dilemme de la créativité
Chapitre 5 : La créativité de la Nature
Chapitre 6 : Le faussaire dans la machine
Chapitre 7 : Les nouveaux horizons créatifs
Chapitre 8 : Les grands bouleversements du monde de la création
Chapitre 9 : L’authenticité créative des machines
Chapitre 10 : Une autonomie créative des machines ?
Chapitre 11 : Les C-Borgs
Chapitre 12 : Vivre ensemble
Glossaire
Remerciements

Mon avis sur l'ouvrage "Hypercréation" de Flavien Chervet :

Le constat que Flavien Chervet dresse dans Hypercréation est que les machines intelligentes ont un pouvoir de création originale. La thèse est séduisante et extrêmement bien argumentée et documentée, d’autant plus que la créativité est un terme difficile à définir (je vous renvoie vers l’ouvrage de Edward Wilson sur les origines de la créativité). La question est de savoir si la créativité doit être restreinte à l’espèce humaine, animale, à la nature, ou peut-elle aussi s’appliquée aux mondes numériques artificiels (robotique, mondes virtuelles, IA…).

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Si la créativité pour Marcello Vitali-Rosali se loge dans les bugs (fiche de lecture à venir!), la créativité culturelle s’inscrit dans une époque et a comme source d’inspiration la volonté de choquer, perturber, questionner, provoquer, expliquer, alors elle nécessite une intention de l’artiste et donc une conscience (et une volonté) de l’impact potentiel que l’œuvre peut avoir sur ses contemporains. Alors, réfutant l’idée qu’une IA puisse avoir une quelconque conscience, je me sens plus proche de l’analyse de Walter Benjamin qui parle de « l’aura » qui entoure l’œuvre authentique, unique, inscrite dans un contexte culturel et une tradition créative. Cette aura donne une valeur symbolique à l’œuvre, qui dépasse sa valeur d’usage. Une « oeuvre » comme les synthographies – création d’une image par une IA suite à un prompt – générée sans aucun effort de la part de l’utilisateur, ne pourrait selon moi en aucun revêtir de statut créatif, sa réalisation n’ayant été associée à aucun effort imaginatif, au delà éventuellement du prompt.

De manière analogue, certains experts et avocats militent auprès d’institutions publiques pour la reconnaissance de l’identité numérique des robots. La création d’une personnalité juridique pour les machines permettrait notamment de protéger des œuvres produites. De mon point de vue, ce statut juridique pourrait surtout ralentir la recherche en robotique et offrir de formidables abus tant en terme économique (production industrialisée d’œuvres protégées) que sociétaux (amplification de fake news sur les réseaux sociaux par des algorithmes) et juridiques (si mon robot commet un crime, est-il seul responsable ?).

Là ou je rejoins l’auteur est la formidable opportunité représentée par les outils d’IA comme support et assistance à la création. En s’appuyant sur ces outils, l’artiste, le designer, l’architecte, le romancier, l’auteur de science fiction, pourra alors nourrir ses réflexions, et alimenter son imagination sur la base des productions générées par des algorithmes.

Ci-dessous, l’excellente frise chronologique présente au début de l’ouvrage et qui retrace l’évolution du domaine de l’IA à travers des grands temps forts (papier de recherche, création artistique, algorithmes).

 

Les concepts et idées ayant retenu mon attention

  • Si la machine devient créative, le droit lui-même semble devoir subit une reformulation profonde, mettant nombre de ses principes en rapport avec un continuum de subjectivité […]. Mais peut-on mesurer un tel niveau de subjectivité ? On peut évoquer la Théorie de l’information intégrée des neuroscientifiques Guilio Tononi et Chistoph Koch, qui a pour ambition de donner une mesure du degré de conscience et donc de subjectivité de tout système traitant de l’information, de l’insecte à l’humain, en passant par l’ordinateur ou l’embryon. (p.38)
  • La nouveauté est donc une caractéristique complexe ne garantissant pas la créativité – elle doit s’assortir d’un certain degré d’adaptation et originalité […] Le 37e coup d’AlphaGo, puisqu’il a donné la victoire à l’algorithme et qu’il semble avoir tant étonné même les meilleurs joueurs, répond effectivement à cette caractérisation de nouveauté adaptée et originale. (p.67)
  • Cette révolution [du machine learning] entraîne une explosion de la production de données. Les chercheurs Martin Hilbert et Priscilla Lopez ont calculé qu’en 1993, seules 3% des données de l’humanité étaient sous format numérique, contre 94% en 2007. Entre ces deux dates, certes de nombreuses données ont été dématérialisées, mais surtout, c’est un tsunami de données générées au sein du numérique qui est venu rendre crédible le machine learning en lui offrant sa matière première : la data. (p.118)
  • Les auteurs de l’algorithme expliquent dans leur papier de recherche – CAN: Creative Adversarial Networkds, Generating « Art » bu Learning about Styles and Deviating from Style Norms – que les CAN « génèrent de l’art en regardant de l’art et en apprenant les styles; et deviennent créatifs eu augmentant le « potentiel d’excitation de l’art généré en déviant des styles appris « . […] Nul doute donc que nous soyons là face à d’authentiques produits créatifs, à la fois originaux et adaptés à leur nature d’œuvre d’art. Les CAN simulent un processus de création à la fois dérivatif et disruptif, et produisent les résultats créatifs. (p.136)
  • C’est la convergence des techniques modernes de traitement du langage naturel et des techniques d’IA générative qui forme le socle de la révolution créative des années 2020. Combinés, ces deux champs de l’IA permettent l’apparition d’algorithmes révolutionnaires.
  • Walter Benjamin parle de « l’aura » qui entoure l’œuvre authentique, unique, inscrite dans un contexte culturel et une tradition créative. Cette aura donne une valeur symbolique à l’œuvre, qui dépasse sa valeur d’usage […], les œuvres calculées [comme les synthographies] sont « quasi reproductibles : une simple pression sur un bouton offre à l’utilisateur une variation toute neuve sans aucun effort. […]. En mars 2023, l’US Copyright Office (le service en charge des droits d’auteur aux États-Unis) pose une première pierre significative : les synthographies créés grâce à des algorithmes de text2images généralistes comme Midjourney ou Stable Diffusion ne peuvent être protégés par le droit d’auteur, considérant que l’intention et le génie créatif humains ne participent pas assez à la réalisation finale pour que celle-ci puisse être sujette à une quelconque propriété. (p.177)
  • Les IA permettent aux artistes de mener toujours plus loin cette exploration des esthétiques numériques. En 2015, par exemple, des chercheurs de Google marquent les esprits en annonçant la création d' »un nouveau courant artistique baptisé « inceptionisme ». Initialement, les chercheurs ont mis au point un algorithme de deep learning permettant de visualiser le fonctionnement des réseaux de neurones profonds. Mais l’allure psychédélique, hallucinogène des images produites par l’algorithme feront mouche. Elle donne l’impression de dévoiler les « rêves » de l’intelligence artificielle. L’algorithme est baptisé « deepDream » et ses créations accèdent au statut d’œuvres d’art. (p.184)
  • Typologie des C-Borgs (p.264)
    • Type I :
      • Qualification : C-Borgs contrôlables
      • Familles : GAN, LLM, text2image
      • Représentants : ChatGPT, Sable Diffusion, Dall-E, Midjourney, DeepDream
    • Type II:
      • Qualification : C-Borgs orientables
      • Familles : CAN, Algorithmes d’apprentissage par renforcement dans un environnement fermé
      • Représentants : AlphaGo, AlphaZero, Hiders & Seekers
    • Type III :
      • Qualification : C-Borgs autonomes
      • Familles : IA développementale
      • Représentants : iCub
  • La machine créative, pour la première fois, est une technologie s’affranchissant de son rôle d’outil. Son altérité dérangeante ne peut plus nous augmenter. Au lieu de décupler notre puissance, elle nous inflige au contraire une blessure narcissique qui appelle à l’humanité. Elle nous invite à nous réorienter, et nous avons là l’opportunité de faire société autrement. (p.270)

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