L’infocratie sonne la fin de l’époque de vérité selon Byung-Chul Han

Dans "Infocratie, Numérique et crise de la démocratie", Han critique le régime d'information qui nous donne l'illusion d'une forme de liberté. 

Couverture livre Infocratie Byung-Chul Han

L’infocratie sonne la fin de l’époque de vérité selon Byung-Chul Han

Byung-Chul Han est un essayiste et philosophe sud-coréen vivant en Allemagne. J’ai découvert cet auteur en lisant La société de la fatigue, un essai philosophique concis et percutant qui pose un regard critique sur notre société de la performance. Société ou l’individu s’auto-exploite et ou la liberté individuelle finie par devenir une contrainte. L’auteur nous montre comment de la fatigue peuvent naître la sérénité, l’attention et la guérison.

Dans son ouvrage Infocratie, numérique et crise de la démocratie, Byung-Chul Han critique le régime d’information dans lequel nous vivons et qui nous donne l’illusion d’une forme de liberté alors que nous serions contrôlé psychopolitiquement

Régime de souveraineté versus régime disciplinaire

Le philosophe oppose le régime de souveraineté pré-moderne au régime disciplinaire. Alors que le régime de souveraineté mettait en scène le pouvoir comme moyen de domination (les cérémonies, les grandes fêtes, les ors de la république…), le régime disciplinaire renverse le rapport de visibilité. Il se rend invisible tandis qu’il impose aux autres sujets une visibilité permanente. Pour que l’emprise du pouvoir demeure assurée, les soumis sont exposés à la lumière de projecteurs. Les détenus que nous sommes, constamment observés, intériorisons la surveillance et subissons ainsi l’efficacité du panoptique disciplinaire (concept d’architecture carcérale imaginée par le philosophe Jérémie Bentham et reprit par Michel Foucault dans Surveiller et Punir et dans lequel les prisonniers ont le sentiment d’être surveillés constamment).

Nous vivons dans un régime d'information

Dans notre société de l’information, les cellules d’isolement sont remplacées par des réseaux de communication. La technique d’information numérique fait basculer la communication dans la surveillance. Alors que dans le régime disciplinaire, la contrainte garantie la domination, c’est paradoxalement l’inverse qui se produit dans le régime d’information, ou c’est précisément le sentiment de liberté qui garantit la domination. La domination nous dit Byung-Chul Han se parachève au moment où liberté et surveillance reviennent au même. Nous nous efforçons nous-même d’avoir une visibilité (sur les réseaux sociaux par exemple) et nous plaçons volontairement sous la lumière des projecteurs numériques. 

L'impératif de transparence créé notre prison digitale

L’impératif de transparence est une condition nécessaire à la société de l’information. Il fait circuler librement les informations mais génère un paradoxe : les gens sont prisonniers des informations. Ils se ligotent eux-mêmes en communiquant et en produisant des informations. Bienvenue dans la prison digitale. Nous pouvons faire le parallèle avec la dépendance digitale de certains métiers, contraints de vivre avec des lois algorithmiques qui, elles sont bien peu transparentes. L’auteur parle lui de blackbox algorithmique.

Cette domination du régime d’information se dissimule en fusionnant totalement avec notre quotidien. Elle se cache derrière la complaisance des médias sociaux, l’agrément qu’apportent les moteurs de recherche,  les voix lénifiantes des assistants vocaux ou la serviabilité prévenante des applications smart

Acheter le livre:

Et soutenir le blog

Couverture livre Infocratie Byung-Chul Han

Les médias sociaux sont les nouvelles églises

Si le régime disciplinaire de Michel Foucault était caractérisé par la surveillance et la punition, le régime d’information prend les habits de la liberté, de la communication et de la communauté. 

Le philosophe est très critique à propos des influenceurs sur Youtube et Instagram a qui nous vouons (collectivement) un culte et qui nous glissent habillement des objets publicitaires dans la mise en scène qu’ils donnent d’eux-mêmes. Les influenceurs sont les nouveaux sauveurs. Les followers deviennent leurs disciples. Dans cette eucharistie numérique, les médias sociaux sont semblables à une église : le like est un amen. Le téléchargement, c’est la communion. La consommation, c’est la rédemption. 

En régime d’information, être libre, ce n’est pas agir, mais cliquer, liker et poster. Ce régime ne se heurte donc pas à une grande résistance. Il n’y a guère à craindre une révolution, semble regretter l’auteur. 

Si Gustave Le Bon parle dans la Psychologie des foules de l’âme des masses qui homogénéise l’action de la foule, le régime d’information en revanche, isole les personnes. Même quand elles se rassemblent, elles en forment pas une foule, mais des essaims digitaux qui se suivent pas un chef, mais leurs influenceurs. 

Infocratie et déchéance de nos démocraties

La numérisation du monde progresse irrésistiblement. En s’emparant maintenant du domaine politique, le tsunami de l’information (information qui devient un bien de consommation) fait évoluer la démocratie en infocratie. La démocratie en temps réel dont on rêva au commencement de la numérisation en y voyant une démocratie du futur s’avère une illusion totale. 

Dans une civilisation dominée par le livre, le discours public est plutôt caractérisé par un agencement ordonné et cohérent des faits et des idées. Or, les masses-médias électroniques détruisent le discours rationnel forgé par la culture du livre. D’ailleurs, Jürgen Habermas, en 1962 déjà (et bien d’autres comme Hannah Arendt, ou plus récemment David Colon, Michel Desmurget, ou encore Olivier Babeau) rend les masses-médias responsables de la déchéance de l’espace public démocratique. Contrairement au public des lecteurs, celui de la télévision est exposé au risque d’une mise sous tutelle. L’écran de télévision est aujourd’hui remplacé par l’écran tactile. Le smartphone est le nouveau média de soumission. Il accélère la désagrégation de l’espace public en publiant constamment des éléments privés, à la manière d’une vitrine mobile. 

L’information produite et diffusée en flux continu vie de l’attrait de la surprise et fragmente notre perception et plongent notre système cognitif dans l’inquiétude. Elle refoule des pratiques cognitives temporellement intenses comme le savoir, l’expérience et la connaissance. 

L’infocratie encourage l’action instrumentalisée et orientée vers le succès. L’opportunisme se répand. La mathématicienne américaine Cathy O’Neil souligne que Trump lui-même fonctionne comme un algorithme parfaitement opportuniste qui se règle exclusivement sur les réactions du public. Les convictions ou les principes stables dans le temps sont sacrifiés à des effets de pouvoir à court terme. Sur cette thématique, je vous invite à lire l’excellent essai de Guiliano da Empoli Les ingénieurs du chaos qui décrit avec force comment les leaders populistes ont pris le pouvoir grâce à la tech. 

Atomisation et narcissisme de la société

Selon Hannah Arendt, « la pensée politique est représentative dans la mesure où la pensée des autres est toujours présente elle aussi ». Je me fais une opinion en considérant une chose donnée sous différents points de vue, en me représentant les points de vue des personnes présentes et, ainsi, en me les représentant en même temps nous dit Han. Dès lors, comment me former ma propre opinion lorsque je suis soumis à l’opacité des algorithmes, les bulles de filtres, les chambres d’échos et ou je n’ai plus ni le temps ni le recul nécessaire pour digérer cette infobésité. Mais pour l’auteur, c’est surtout notre surdité à la voix de l’autre produite par l’atomisation et la narcissisation croissante de la société et notre incapacité d’écouter l’autre qui sont responsables de la crise de la démocratie. 

L’auteur conclut son essai sur une note pessimiste en actant la fin de l’époque de vérité qui est refoulé par le régime d’information. Dans la société postfactuelle de l’information, en revanche, le pathos de la vérité se perd entièrement dans le vide. Il se perd dans le mugissement de l’information. La vérité se désagrège pour devenir une poussière d’information emportée par le vent numérique. Elle aura été un bref épisode

On regrettera que que Byung-Chul Han nous laisse finalement sans grand espoir, sans piste pour sortir de cette infocratie qui pourrait signer la fin de nos démocraties telles que nous les connaissons. Nous pourrions par exemple citer la réinstauration des portiers de l’information, la réglementation, tenir responsable les plateformes des contenus qu’ils diffusent, forcer la transparence et l’auditabilité algorithmique, sanctionner plus fermement les manquements les plus graves notamment dans la surveillance numérique et la captologie, encadrer les pratiques publicitaires et le micro-targetting… Le pouvoir politique doit se saisir de ces enjeux avant qu’il ne soit trop tard.  

Leave A Comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

douze − deux =

Vous aimez les livres ?

Nous aussi !

Un livre sur la Tech

À découvrir chaque semaine